L’actualité parle sans cesse de la dette économique : milliards, déficit public, endettement des États. Une abstraction pour la plupart d’entre nous. Pourtant, ce mot — dette — a une histoire, un poids, presque une charge philosophique. Car derrière les chiffres, il y a une question universelle : qu’est-ce qu’on doit, à qui, et pourquoi ?
La dette : un mot plus vieux que la finance
Avant d’être budgétaire, la dette est existentielle. Le mot vient du latin debere, « devoir », issu de habere : « avoir ». Littéralement, ne plus avoir. Être en dette, c’est manquer de quelque chose qu’on a reçu. Les philosophes l’ont bien compris. Nietzsche, dans La généalogie de la morale, fait le lien entre dette et culpabilité : celui qui ne rembourse pas est puni. Marcel Mauss, lui, montre que tout don crée une dette : donner, c’est créer un lien. Emmanuel Levinas va plus loin : le simple fait de croiser le regard de l’autre crée une responsabilité, une dette infinie. On ne naît pas seul. On hérite de la langue, des gestes, du monde. Cela nous place, qu’on le veuille ou non, dans une position de débiteur moral. Or le débiteur moral n’est pas condamné à obéir — il est appelé à répondre, librement, par ses choix, ses engagements, ses refus aussi. Il ne s’agit pas d’un contrat à solder, mais d’une relation à incarner. Une liberté qui ne commence pas dans le vide, mais dans le lien.
Un monde d’abondance… et de dettes
Le paradoxe, c’est que nous vivons dans des sociétés riches, ultra-connectées, suréquipées… mais aussi surchargées. Les États sont endettés à des niveaux historiques. Et nous, individuellement, vivons aussi avec cette impression de « ne pas y arriver » : trop de notifications, pas assez de temps, des liens qu’on laisse filer. On parle de milliards à l’échelle macroéconomique, mais nous n’avons aucune prise sur cette dette-là. Elle plane au-dessus de nos têtes, abstraite et lointaine.
Et si on se préoccupait de nos dettes personnelles ?
Mais il existe d’autres dettes. Moins visibles, plus simples — et celles-là, on peut les honorer :
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Dette de sommeil : ces heures de repos qu’on sacrifie sans fin.
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Dette de mouvement : notre corps qu’on oublie d’habiter.
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Dette sociale : ces messages qu’on reporte, ces amitiés qu’on laisse en attente.
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Dette familiale : des silences qu’on laisse durer.
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Dette envers la nature : des saisons qu’on traverse sans les voir ou les ressentir.
Ces dettes n’ont rien de financier. Elles demandent du temps, de l’attention, une présence, une rigueur. Les régler, c’est se réaligner.
Regarder la dette autrement
La dette n’est pas seulement un poids économique. Elle peut devenir un rappel. Un signal. Une chance de revenir à l’essentiel — à ce que nous recevons chaque jour sans toujours le remarquer. Et si, au lieu de la fuir, on osait l’assumer autrement ? Certaines dettes, quand on les reconnaît, ne nous enchaînent pas :
Elles nous relient, elles nous libèrent.
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