Qu’ont en commun un combattant sur un champ de bataille, un penseur raisonnant à contre-courant et un salarié qui se lève le matin pour travailler ? Ils partagent une des vertus cardinales, le courage.
“Le courage est la première des qualités humaines car elle garantit toutes les autres.”
Cette citation d’Aristote définit le courage comme la vertu cardinale. Telle la charnière d’une porte, le courage est le pivot des autres vertus, il les porte. Il faut du courage pour rester fidèle à ses idées en s’opposant publiquement à une pensée approuvée par la majorité, au risque de perdre sa situation sociale ou professionnelle. Le courage est alors le pivot d’une autre vertu, la fidélité.
Un engagement physique
Le courage sera observé chez l’agresseur menant une action risquée avec un but illicite et chez un citoyen mettant sa vie en péril pour sauver autrui. Le courage en lui-même est une force physique observable en action, le but des actes est quant à lui sujet à évaluation morale en fonction des critères de chacun. Peut-on par exemple manipuler ses collaborateurs ? La réponse peut être oui, si c’est fait dans l’intérêt général et non personnel du décideur. L’ego d’un leader doit être au service de l’entreprise, de l’intérêt général. Cependant les ressorts individuels sont quasiment impossibles à prouver. Seules les conséquences de l’action seront évaluables. De plus, la personne fondamentalement vertueuse agit sans réel conscience de l’être, le but n’étant pas la manifestation de la vertu mais bien le résultat de l’acte.
Trouver l’équilibre des forces intérieures
Selon Aristote les vertus procèdent de la modération et se définissent bien souvent en opposition à deux extrêmes. Ainsi, le courage est le centre de gravité de la couardise et la témérité. La peur ou la paresse sont des causes possibles de la couardise. La peur extrême nous tétanise physiologiquement indépendamment de notre volonté alors que la paresse est un véritable choix existentiel, de préserver son confort domestique. A l’autre extrême la témérité peut avoir comme causes la colère ou l’insouciance. La colère, comme perte de contrôle de l’individu, engendre une violence aux conséquences désastreuse. Dans le cas d’une agression, il faut réagir dans le cadre légal de la légitime défense. L’acte de défense doit être simultané, nécessaire et proportionné. La témérité fera porter plus de coups que nécessaires pour maîtriser un agresseur, au risque d’inverser les rôles, l’agressé devenant agresseur. A contrario, la couardise fera tourner les yeux et empêchera toute action comme simplement appeler à l’aide.
Besoin fondamental et engagement
Dans la crise de la culture Hanna Arendt distingue le courage dans la vie publique et la vie privée. Le souci de la vie privée est un souci de soi, de besoins fondamentaux de l’homme. En situation de survie, la préservation de soi nous incitera à des actions courageuses pour assurer notre sécurité et nos besoins élémentaires. Muscler son courage individuel pour densifier son courage collectif est une étape importante pour ceux désirant développer leur leadership . L’engagement au monde, a bien plus de valeur car le risque encouru est plus important : la mort physique ou sociale. C’est dans cet engagement pour la collectivité que le courage aura le plus de valeur, il sera exemplaire.
Une force du quotidien
« Le courage réside dans la force de se lever tous les matins pour faire son devoir d’homme » Marc Aurèle. Son statut d’empereur régnant à l’apogée de Rome n’empêche pas cette réflexion propre à tout homme. Il n’évoque pas ici le paresseux qui préfère rester au lit pour rêvasser mais le citoyen qui s’extrait de sa couche pour aller remplir son devoir pour la collectivité au lieu de s’occuper à des choses plus agréables, plus conformes à ses désirs. Il faut trouver la force de résister à la paresse, aux passions, à la peur. En d’autres termes résister à notre nature propre qui est d’économiser notre énergie. La constance ou la persévérance dans notre être sont des vertus portées par le courage. Le courage du quotidien n’est pas celui d’une action d’éclat mais d’une action continue.
Où se loge le courage ?
Les neurosciences pourraient avoir identifié une aire spécifique du courage dans le cerveau : le thalamus ligne médiane ventrale (TLMV). Cette aire est bombardée par des stimuli dont ceux du nerf optique. Du TMLV, il existe deux voies de sortie connues : l’amygdale qui privilégie une réaction de peur ou le cortex pré-frontal qui permet de faire face par la mobilisation de nos connaissances. Le choix d’une ces 2 options dépend de la densité du tractus nerveux de sortie (sentier forestier ou autoroute). L’inhibition du tractus nerveux de sortie vers l’amygdale de souris modifie leur comportement face à un prédateur. Elles deviennent alors téméraires et se dressent sur leurs pattes alors que leur instinct leur dicte de se figer pour passer inaperçu aux yeux du prédateur sensible aux mouvements. Le tractus nerveux (amas de neurones) ou « chemin » peut donc se densifier par le principe de l’élasticité du cerveau. En somme, nous pouvons nous éduquer au courage.
Muscler son courage
L’objectif est de devenir courageux de manière inconsciente, celui qui agit sans devoir se convaincre intérieurement de le faire. Le courageux conscient, lui, doit écouter sa voix intérieure « sois courageux », il lui en coûte plus car il doit mobiliser de l’énergie pour agir et lutter contre les ancrages « sois prudent » et « fais attention ». L’éducation à la vertu se fait comme tous les enseignements, progressivement, à petits pas. Avant de combattre sur le ring, on pratique des sparring en sécurité avec ses partenaires d’entrainement, on se prépare physiquement à recevoir des coups et à en donner. L’entrainement au courage peut se faire en participant à des formations de mises en situations stressantes encadrés avec retour d’expérience. Le cerveau s’est alors confronté à des situations risquées fictives et en tire les mêmes avantages d’apprentissage que les situations réelles, les traces mnésiques sont identiques dans les deux cas. Parce que « L’habitude est une seconde nature » nous pouvons ainsi tous être courageux mais bien entendu, pouvoir n’est pas vouloir.De l’audace, toujours de l’audace
Lorsqu’une prise de décision en entreprise se distingue par son caractère hétérodoxe, elle est qualifiée d’audacieuse. Le boxeur audacieux tente des actions non conventionnelles et risquées au moment opportun. L’utilisation d’une feinte grossière, feindre une attitude désinvolte, exécuter une attaque directe s’exposant à un contre dangereux sont des tactiques audacieuses en combat. Cette capacité de faire face aux circonstances est appelé virtù par Machiavel, il s’agit de saisir l’occasio et d’assurer sa fortuna, bonne fortune. Dans le Prince, il reconnait que le succès de César Borgia est en partie du au hasard, au destin.
De l’individuel au collectif
Une entreprise n’évolue pas dans la stabilité, son environnement est en perpétuel changement. Sa survie dépend de son adaptation et de sa combativité. Les hommes qui la composent sont soumis à leur niveau respectif à la gestion de ces changements. La plupart des décisions prises en entreprise sont prises en zone grise, sans certitudes sur les informations disponibles. Ces prises de risques demandent un courage pour les décideurs. Les conséquences ont un impact fort sur l’écosystème de l’entreprise : les salariés et leur famille, les clients, les fournisseurs et les partenaires. Les équipes témoins de ce comportement courageux de leur leader auront la volonté de mimer leur dirigeant dans leur domaine d’activité. Ces actes de courage, s’ils sont vus et connus de tous dans l’entreprise seront vecteur de cohésion comme dans un séminaire teambuilding en forêt. Le choix de partager une telle activité avec ses collaborateurs est un acte courageux en lui-même. L’inconfort n’est habituellement pas l’ambiance attendue dans un tel séminaire.
Conclusion : le courage pour être libre
Le courage est la vertu de l’action dans un contexte d’incertitude. Savoir dire non à la paresse, la lâcheté, le confort et la sécurité, non à tout ce qui réduit notre volonté à agir en homme libre. Le meilleur moyen de tuer quelqu’un est de servir ses désirs, il sera alors esclave de ses instincts. Pas de courage sans liberté et pas de liberté sans courage, les deux concepts sont intimement liés. Dans l’entreprise, lieu de la subordination hiérarchique, comment être libre ? En ayant conscience de sa situation de subordonné, l’accepté contre rémunération et avoir le courage d’exécuter ses tâches en leur donnant un sens. La liberté est cette force, cet élan inné, qui nous permet de nous réaliser. Cette liberté est donnée par l’éducation. C’est le rôle de l’entreprise d’éduquer ses salariés et pas simplement les former, en d’autres termes développer leur savoir-être plus que leur savoir-faire. Le leader doit susciter un état d’esprit en développement chez ses collaborateurs, accroitre leur confiance en eux, leur donner envie d’être courageux.